Amado Alfadni.
Des récits et des histoires.
EXPOSITION : 15.11.23 – 23.12.23
Une exposition de Amado Alfadni
Commissariat d’Alessandra Chiericato et Heba El Moaz
Institu français d’Égypte au Caire
1 Madrasset El Huquq El Frinseya Road,
El Mounira, Caire, Egypte
notes.
(1) Une expédition militaire française qui eut lieu de 1861 à 1867 et avait pour objectif de mettre en place au Mexique un régime favorable aux intérêts français.
Aux abords du village de Bernède, là où la route mène au vieux clocher historique et au-delà de l'imposant arbre qui en marque l'entrée, se dresse une maison traditionnelle avec des poutres en bois apparentes. Un refuge en bordure de vastes champs cultivés où passent parfois des animaux sauvages, La Maison d’Odile est depuis deux ans un lieu d'expérimentation pour des artistes internationaux. C'est ici qu'Amado AlFadni a séjourné pendant trois semaines, donnant naissance à l'ensemble d'oeuvres aujourd’hui exposées à l'Institut français d'Égypte au Caire.
L'histoire qui entoure cette demeure est intime et complexe. Elle est imprimée, sur du papier jauni, dans le regard de la jeune Odile vêtue en blanc le jour de sa première communion, dans les sourires des habitants d'un petit village de campagne – qui compte aujourd'hui seulement 204 âmes –, dans la grandeur du souvenir heureux d'un couple entouré de la chaleur de parents et d'amis quelques maisons plus loin. Puis quelque chose semble troubler la quiétude de ce petit village gascon : Odile quitte brusquement le nid familial et n'y reviendra que bien plus tard, pour mourir entre les murs qui ont marqué sa tumultueuse jeunesse.
Pourtant, aujourd'hui, Amado AlFadni ne parlera pas d'Odile, ni de l'histoire d'une maison, d'une famille ou d'un village. Il ne parlera même pas de son histoire personnelle, vécue dans les rues du Caire et l'intimité familiale de ses origines soudanaises. Pour cette exposition, l'artiste nous guide vers la lecture spontanée d'une série d'oeuvres inédites qui entrelacent des histoires lointaines, des légendes, des figures emblématiques et des événements historiques ayant façonné les continents européen et africain. Les photographies en noir et blanc des archives de La Maison d’Odile servent de toile de fond à de multiples réflexions, recherches et imaginaires qui racontent un moment précis de la seconde moitié du XIXe siècle, où un bataillon égyptien (principalement composé de Soudanais) a combattu pour les Français lors de leur deuxième intervention au Mexique(1).
Les traces de ce moment historique, bien qu'elles ne soient pas directement liées au village de Bernède, permettent à Amado AlFadni de poursuivre une recherche qui accompagne depuis toujours ses oeuvres. Les 16 monotypes issus de sa résidence (des exemplaires uniques réalisés sous forme d'impressions sans gravure) sont la continuité naturelle d'un travail sur l'archive photographique réalisé précédemment. Bien que le matériel historique utilisé soit celui qui représente une communauté rurale du Sud-Ouest de la France, ces photographies d'archive – comme dans la série Miss Khartoum, où l'artiste réfléchissait de manière plus générale sur le rôle des femmes dans la société soudanaise à partir des années 1950 – ne sont qu'un prétexte pour aborder des thèmes tels que l'identité, le (non) sens de l'appartenance, les préjugés qui divisent une communauté ou, au contraire, les actions qui poussent à briser la barrière des stéréotypes pour aller à la rencontre de l'autre.
Ainsi, pour compléter ces réflexions, posées en filigrane des portraits en noir et blanc, on trouve des inscriptions en langue arabe et des illustrations islamiques datant du XVIe siècle. Enfin, en utilisant la couleur d'une manière rappelant une technique traditionnelle utilisée au XXe siècle par les studios photographiques en Égypte et dans une grande partie de l'Afrique du Nord, Amado AlFadni crée à travers ces oeuvres un imaginaire universel qui permet de voyager entre le présent et le passé, en réunissant des lieux et des communautés éloignés dans le temps et l'espace.
Avec cette série, Amado AlFadni nous guide vers une lecture transversale du matériel d'archive, nous invitant à approfondir notre relation avec l'image, la représentation et l'histoire. L'artiste crée ainsi une nouvelle narration qui rappelle celle d'un journal de bord et nous offre une lecture inédite des recherches, des échanges et des rencontres qui ont marqué son séjour à La Maison d’Odile.
Texte par Alessandra Chiericato