Maria Di Stefano.
THIS IS US - PARIS.
PROJET : 30.09.22 – 21.09.23
EXPOSITION : 14.09.23 – 21.09.23
Une exposition de Maria Di Stefano
Commissariat d’Alessandra Chiericato
The Room Projects - Pop Up
47, rue de Montmorency
75003 – Paris
Projet soutenu par Italian Council (2022), Direction générale de la création contemporaine, Ministère italien de la culture. Le projet est également possible grâce au soutien de Université Paris 8 et Ville de Paris.
« Dans le panorama actuel du monde une grande question est celle-ci : comment être soi-même sans se fermer à l’autre et comment s’ouvrir à l’autre sans se perdre soi-même »
E. Glissant, Introduction à une Poétique du Divers
Thomas arrive à bord d'une imposante moto noire. Il est en retard. Tout le matériel pour le shooting est adossé à un muret, là où il a choisi de poser pour la photo. « Mon coin secret », dit-il une fois arrivé, en pointant du doigt une niche parmi les arbres de l'île Saint-Louis avec vue sur l'immense chantier de Notre-Dame. Il est 10h30, nous sommes en mai et le soleil brille au-dessus des bateaux-mouches qui recommencent leur va-et-vient le long de la Seine. Thomas soulève son casque et dévoile une longue chevelure noire. « J'ai l'habitude des shootings », précise-t-il d’une voix déterminée, tout en regardant la photographe dans les yeux alors qu'il sort un drapeau de l'île Maurice de son sac à dos. Puis, il demande timidement : « Maria, est-ce qu'on pourra aussi prendre une photo de moi sur la moto avec la cagoule ? ».
Dans les photographies de Maria Di Stefano, exposées dans l’espace de The Room Projects à Paris, réside une dualité unique. D'une part, le regard déterminé des protagonistes qui fixent l'objectif. De l'autre, un archipel d'instants qui se dévoilent sous le regard du spectateur, révélant différentes nuances de personnalités, de lieux et de relations ayant donné naissance à la série THIS IS US - PARIS.
Poursuivant un travail commencé à Rome en 2021, les sujets photographiés sont cette fois-ci vingt jeunes Parisiens d'origine extra-européenne, qui ne peuvent obtenir la nationalité française avant l'âge de dix-huit ans.
Les portraits exposés font état, en filigrane, des questionnements autour de la notion d’identité qui ont guidé, sur plusieurs mois de recherche, l'artiste et photographe italienne. Une approche qui résonne avec celle du romancier, poète et philosophe Édouard Glissant, et plus précisément avec son concept d’opacité. Cette notion, révélée par contraste avec la transparence des tissus sur lesquels les photographies sont imprimées, trouve son écho dans l'ensemble de la série.
La volonté d'aller à rebours des visions stéréotypées et des idées préconçues est à la base de ce projet photographique où le droit à l'opacité dont parle Edouard Glissant – à savoir le droit de préserver sa propre ombre, c’est-à-dire sa propre profondeur psycho-culturelle – est ici revendiqué et exprimé avec force par les protagonistes.
« C'est une attitude philosophique », explique, assis sous sa yourte, le père d'Altaïna et Coco Alungo en racontant l’histoire de cette architecture traditionnelle de Mongolie. Pour lui, le fait de plier littéralement son logement et de se déplacer sans laisser aucune trace ne représente pas seulement la tradition d'un peuple nomade, mais résume aussi et surtout une attitude vis-à-vis de l'altérité. « Sur terre, nous ne sommes que des visiteurs. Nous ne vivons pas éternellement, vous comprenez ? ».
Le travail de Maria Di Stefano commence toujours par de longs échanges dont la photographie n’est que l’aboutissement. Involontairement, toutes les conversations qui se sont déroulées derrière chaque portrait ont semblé illustrer la notion d’opacité. Les portraits de THIS IS US - PARIS véhiculent alors les traductions de ces échanges uniques, où la notion de relation – un autre pilier de la pensée d'Edouard Glissant – devient essentielle à la rencontre et, par conséquent, à la prise de la photo. C'est dans ce sens que le geste photographique de Maria Di Stefano se fait multi-langage, devenant un outil de transcription du lien essentiel entre opacité et relation.
À l'occasion de la première exposition personnelle de l’artiste en France, une sélection de la série THIS IS US - PARIS est présentée à travers une installation inédite. La transparence des tissus sur lesquels sont imprimés les portraits de Balthazar, Maharu, Tedda, Mengyi-Amy, Patrick et Morro, entre autres, nous invite à effleurer leur opacité sans pour autant nous aider à la comprendre. L'imprévisible reste ici une condition essentielle et une attitude à assumer.
Laissez-vous guider par ces images, superposez-les, créez votre propre chemin de lecture, abandonnez vos constructions et vos idées préconçues, car pour connaître ces vingt adolescents ce n'est pas une certaine méthode qu'il vous faut, mais – pour le dire avec les mots d’Edouard Glissant – une « légitimité relationnelle ».
Texte par Alessandra Chiericato